La mémoire de la conférence nationale des forces vives de la nation du 20 février 1990 au Bénin
Ceci est un article que j'ai publié dans le quotidien "La Nouvelle Tribune" le 10 mars 2010 pour l'édition électronique et le 12 mars 2010 pour l'édition imprimée.
Mémoire
en danger
20ème anniversaire de la
tenue de la conférence nationale des forces vives de la Nation. La nécessité
d’un vrai travail de mémoire.
Finies
les festivités marquant le vingtième anniversaire de « l’historique » conférence
nationale des forces vives de la Nation. Passés les emballements et euphories
de commémoration. Place maintenant à l’épineuse et urgente question de la
gestion de la mémoire liée à cet événement. Que faire réellement en vue d’une bonne réponse à
cette question ?
Visiblement, la génération post chute du mur de Berlin,
n’a pas bonne mémoire de ce dont retourne la tenue de la conférence nationale,
tenue il y a vingt ans, dans la capitale économique béninoise. C’est l’une des
conclusions issues du colloque organisé
du 26 au 28 février 2010 au Palais des congrès sur l’état de la démocratie béninoise. Ainsi, le
rapport général sortit de ce colloque recommande t-il d’ « informer les jeunes générations sur la portée de cette historique
conférence ». Connaître le passé pour mieux affronter l’avenir ?,
on est en droit de le penser. En
tant que archiviste, je le souhaite vivement. Mais en revisitant l’histoire et
en parcourant les déclarations d’intention sur les deux dernières décennies,
j’ai des doutes car ce n’est pas la première fois que cette volonté est
exprimée. Je crains donc que cet appel ne soit une fois de plus, l’une des
belles phrases de circonstance, les phrases de célébration. Une fois les
projecteurs de commémoration éteints, on oublie les résolutions prises et on retombe
dans les mêmes travers, faute d’avoir une mémoire organisée et consultable.
Un petit rappel de belles phrases
oubliées avant de poursuivre mes propos : déjà en 1990, le 28 février,
c'est-à-dire le jour où prenait fin la conférence, le Professeur Albert
TEVOEDJRE, dans son éminent « Rapport général de synthèse », évoquant
les raisons qui ont conduit à la situation ayant exigé la tenue des assises,
rappelait que c’est en « tournant
le dos à notre histoire et à notre géographie, à notre art, à notre habileté,
[que] nous avons refusé notre croissance à partir de notre être et de nos
ressources .» Plus loin dans le même rapport, on pouvait lire :
« nous avons perdu assez de temps
dans ce pays ; nous avons perdu beaucoup de temps. Mais nous venons depuis
hier de gagner un siècle, celui qui vient. Or ce siècle lui-même peut encore
nous échapper si nous manquons de vigilance et d’audace. » Sur les
cent ans de ce siècle entamé en 1990, il n’est point une obligation de demander
l’avis des participants à la conférence pour conclure qu’on n’en a déjà perdu
20, du moins, sur la gestion de ce qui devrait faire l’histoire du pays sur la
période considérée. Une partie non négligeable de notre mémoire collective,
nous a échappée, déjà. Il faudra maintenant vraiment agir sur les quatre vingt
ans à venir.
Pourquoi faut-il agir ?
Nous aimons rabâcher la légitime formule
des autres sans y tenir compte : « un peuple sans histoire est [un peuple sans âme ou sans arme]. »
Aucun peuple soucieux de son
développement identitaire, voire économique et social, ne badine avec son passé.
En témoigne, le « Mémorial du génocide des Tutsi »,
érigé au
Rwanda, suite à la tragédie vécue par ces hommes ; il renferme des éléments qui
doivent empêcher leurs générations présentes et surtout futures, à (re)tomber dans les mêmes errements et
tragédies de leurs prédécesseurs. Un autre exemple : le « mémorial de la Shoah »,
ouvert en 2005 à Paris, et d’autres lieux de mémoire sur la tragédie des juifs,
subie par ceux-ci, particulièrement au
cours de la seconde guerre mondiale, n’autoriseront plus l’inertie de
l’humanité entière pour que se reproduise la regrettable et préjudiciable
humiliation de ce peuple là.
Ainsi, c’est
le propre des archives et de tout objet de souvenir, d’aider à avoir présent à
l’esprit, son passé, pour en grandir.
C’est pour
cela que je soutiens l’idée de « l’enseignement de la conférence nationale,
dans les différents ordres du système éducatif béninois, à partir de la
constitution de la mémoire, pour leur [les jeunes générations] donner sa
dimension de pacte social. » C’est aussi là, l’une des
recommandations issue du colloque anniversaire, qui a préconisé par ailleurs,
« l’organisation d’un séminaire pédagogique en faveur des enseignants des
divers ordres d’enseignement (...) » C’est l’une des conditions qui feront
que, si les déclarations ne restent pas seulement de belles phrases, les générations futures qui auront en charge
la destinée du Bénin, ne seront pas excusées de faire les mêmes choix de
direction qui ont conduit aux échecs d’avant février 1990.
Comment
faut-il agir ?
La mise en
œuvre des recommandations pour l’introduction de l’enseignement de la
conférence nationale dans les divers ordres d’enseignement ne pourra
certainement pas être possible sans l’existence de documentation sur les actes
de cette conférence. D’où le rôle des écrivains-historiens qui sont interpelés.
Ainsi, je joins ma modeste voix à celles de nombreuses autres personnes, pour inviter
les acteurs majeurs (ou non), de la Conférence, à mettre par écrit, leurs témoignages
sur les faits s’y étant déroulés, comme autrefois, Saint-Simon, sur le système
de la cour, au temps de Louis XIV. Il faut que cesse le règne de l’oralité qui
a montré ses limites à travers le temps. Il faut que cessent aussi les
revendications ostentatoires personnelles et sporadiques du genre « c’est
moi qui ai fait ci, c’est moi qui ait fait ça ». Chers aînés, si vous nourrissez
un amour profond pour cette république nôtre, arrêtez-vous un instant et
consacrez un peu de votre temps à mettre par écrit ce que vous savez de la
conférence nationale.
Restaurer les archives de la presse
La presse a
fait un excellent travail pour que nous ayons à ce jour un pan de l’histoire de
la conférence fixée sur support écrit ou audiovisuel. Cela est à mettre à l’actif
des hommes des médias et je les en félicite. Et je comprends d’ailleurs leur
récrimination contre les autorités qui ne leur auraient pas reconnu à sa juste
valeur, leurs contributions décisives à la réussite des assises de la
conférence. Mais une chose est de produire l’information. Une autre est de la
traiter, la stocker en vue de son utilisation ultérieure. Et cela n’est pas
[forcément] la tâche du journaliste, je n’en disconviens pas. Il y a d’ailleurs
un corps de professionnels auquel elle
incombe : les archivistes et documentalistes. Mais ceux à qui incombe en
priorité pareil travail, restent les institutions de la République ; à
savoir : les Archives nationales rattachées à la Présidence de la
République et la bibliothèque nationale
sous tutelle du ministère de la Culture. Ont-elles assumé leur part de
responsabilité dans cette phase historique de notre pays ? Je ne veux
répondreà pareille interrogation ; mais je vous laisse, vous Béninois, la
charge d’en juger à partir du constat suivant : De ma place d’archiviste-documentaliste
exerçant au Centre culturel français de Cotonou, j’ai souvent eu la honte, oui
je dis bien la honte, de recevoir des usagers (la plupart sont des Béninois ;
il y en a qui sont à des postes de décision) qui, pour consulter les archives
de la presse béninoise, doivent se rabattre sur la médiathèque de cette
institution étrangère dont la mission n’est à priori pas d’avoir ce type de
documentations. Cette institution documentaire, hélas unique à Cotonou et à
regret unique dans tout le pays, a d’ailleurs entrepris le recadrage de ses
missions ; les priorités d’aujourd’hui de la France n’étant plus les mêmes
que celles d’hier. Personne ne peut la lui en vouloir. Il faut donc que le Bénin commence à se prendre réellement en
charge en matière de politique documentaire. Les autorités béninoises en charge
de ce secteur en sont-elles conscientes, pour enfin faire leur travail, correctement ?
Puisque, il m’est arrivé de recevoir un jour, un étudiant, ayant un sujet de
recherche sur le Bénin ; il était donc venu de Paris, spécialement ,
pour se servir des archives de la presse privée béninoise, qui ont paru dans la
période transitoire de 1989 à 1991. Je partage encore avec lui l’amertume de
n’avoir pas eu gain de cause dans aucune institution documentaire de la
République souveraine du Bénin, où se trouvent les esprits clairvoyants du
« quartier latin de l’Afrique.» Les maisons éditrices des journaux d’antan
ne possèdent même plus leurs propres productions...
Cela pose de
façon générale, la récurrente question de l’archivage dans ce pays, et plus
particulièrement, de la protection du patrimoine de la presse aussi bien écrite
qu’audiovisuelle. Que restera t-il dans quelques années des témoignages de la
presse sur la conférence nationale ? Que dis-je , que reste t-il des
témoignages de la presse ? Tout le monde a vu comme moi les images de
vingt ans qui ont été diffusées sur les chaînes locales de télévision, en
souvenir de la bi-décennie de la conférence. Des images qui ont vingt ans mais
qui, dans bien de séquences, n’ont plus le charme des images prises ailleurs
avant la première guerre mondiale. La conscience collective béninoise, si elle
existe encore, est interpellée. Pour l’instant, ceux qui travaillent pour
« le bien être social », ignorent royalement et étonnamment, les questions de souveraineté nationale à
l’heure où on s’apprête à célébrer les cinquantenaire de
« l’indépendance nationale»
Créer un système d’information sur
la conférence nationale
Peu importe sa désignation et le lieu qui l’abrite: bases ou banques de données, centre d’information et de documentation… Il permettrait de rassembler, en un seul lieu, toutes les données et toutes les informations afférentes à la conférence nationale. Quoiqu’insuffisante, et après qu’on ait perdu assez de souvenirs, il existe tout de même à ce jour, quelques matières sur lesquelles l’on pourrait s’appuyer pour se documenter sur la conférence. Mais elles sont éparpillées dans les stations de radios et télévisions, dans les organes de presse écrite, dans des institutions et même chez des particuliers. Il serait judicieux de trouver un mécanisme de gestion des droits, pour que toute la documentation soit accessible à partir d’un seul lieu. Toute la documentation, c'est-à-dire, les écrits, les enregistrements sonores et audiovisuels, les témoignages matériels que sont les photos et autres. Avec la technologie, il est possible de préserver tous ces témoignages et de les rendre accessibles à tous les Béninois et étrangers à partir de leur point de résidence. Sans cela, mais aussi sans d’autres actions de sauvegarde efficace du patrimoine identitaire du peuple béninois, ne me parlez pas de cinquantenaire d’une célébration de « l’indépendance ».
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